Le joueur de flûte de Hamelin à Brême HISTOIRES REVISITEES
Les contes à l'envers est le nouveau challenge d'écriture du Forum des lecteurs de la Fnac.
"À la manière de ce que Philippe Dumas et Boris Moissard ont déjà proposé : et si l’on refaisait les contes à l’envers ?
👉 Quelle serait l’histoire du Petit Chaperon Rouge s’il avait été vert ? Cendrillon aurait-elle perdu son soulier si elle portait des baskets ? Quel avenir aurait eu Aurore en ne se piquant pas le doigt sur le fuseau ?
Vous voyez où nous voulons en venir ? Reprenez la trame d’un conte et retravaillez-là pour en proposer une tout autre approche. "
Voici mon deuxième essai de contes revisités.
Comme promis, je vous livre une nouvelle révélation cette fois – ci qui se finit dans la joie et le bonheur. Je rétablis donc aujourd’hui la vérité sur le personnage du joueur de flûte de Hamelin. Les frères Grimm, ces deux coquins, ont pris quelques libertés avec cette histoire : le début est vrai, le milieu aussi mais la fin est tout autre. Laissez-moi vous la conter dans sa version authentique !
Au XIe siècle, en Allemagne, à Hamelin, au sud ouest de Hanovre, une terrible invasion de rat détruisait la ville. Tout était contaminé par ces rongeurs voraces et prolifiques qui se promenaient partout sans vergogne. Avec leurs déjections et leur urine, ils polluaient l’eau, la farine, les habitations … sans compter sur les puces qui abondaient dans leurs poils. La population devait faire face à plusieurs épidémie notamment la leptospirose, la salmonelle et la peste. Beaucoup perdaient la vie, les vieux et les enfants en bas âge. Ceux qui survivaient n’étaient pas bien vaillants.
A cette époque, on se lavait fréquemment mais les étuves étaient des lieux de propagations foudroyants des maladies et fermèrent. On se méfiait alors de l’eau et l’hygiène était de plus en plus sommaire voire inexistante.
C’est ainsi qu’arriva un joueur de flûte inconnu dans la région. Il demanda à être reçu par le maire et lui expliqua qu’il était dératiseur. Le magistrat, au bord de l’épuisement, impuissant à assurer protection et nourriture à son peuple, accepta son aide avec joie et lui promit une belle récompense de 1000 écus (soit environ 225 000 frcs Cfp c’est-à-dire 1900 euros, une belle somme pour l’époque et encore de nos jours) !
L’exterminateur mélomane se rendit au cœur de la ville au Stiftsherrenhaus. Ce bel immeuble à colombage abrite de nos jours le Musée de la ville au dernier étage et au rez-de-chaussée un des plus beaux cafés de Basse Saxe (selon les guides touristiques) et sa façade principale est ornée d’allusions aux dieux bibliques et plantaires. Un chef d’œuvre architectural !
Devant ce bâtiment, dans une rue sale remplie d’immondices où grouillaient d’innombrables rats au milieu de cadavres, notre joueur sortit son hautbois ( et non sa « simple » flûte) et posa ses lèvres sur l’anche double avant d’y souffler doucement. Une note puissante et sonore, pleine de rondeur, se fit entendre. Tout dans la ville s’arrêta : les pleurs, les plaintes, les douleurs… les hommes, les femmes, les animaux … chaque être vivant cessa sa tâche et tourna la tête en direction de ce son.
Quant l’hautboïste fut sûr d’avoir capté tout son auditoire, il poursuivit sa mélodie de son souffle régulier et léger tout en actionnant les clés de ses doigts. Les nuisibles, attirés par cette musique, se regroupèrent tout autour du flutiste. Ce dernier se mit en marche et une vague immense telle une marée noire le suivit jusqu’à la Weser. Et c’est dans cette rivière que cette immense foule de rats se noya jusqu’au dernier.
La ville était enfin sauvée, libérée de ses oppresseurs. La vie pouvait reprendre et déjà des gens s’affairaient à nettoyer les rues.
Fier de lui et heureux d’avoir réussie sa noble mission, sa bonne action, le sauveur alla réclamer son dû à la mairie. Malheureusement, il fut accueilli à jet de cailloux et n’eut point la récompense promise. Les habitants devenus mauvais par tant de mois de souffrance et de misère pensaient utiliser cette argent pour reconstruire la ville.
Triste, honteux, blessé, humilié, le joueur de flûte ne voulut pas en rester là. Il revint un mois plus tard, encapuchonné sous une cape pour ne pas être reconnu. Il erra dans les rues de la ville et s’aperçut bien vite que l’argent n’avait servi qu’à certains et que les parents utilisaient leurs propres enfants pour les tâches de nettoyage les plus ingrates, pour les travaux de reconstruction les plus durs. Cela était trop, ce n’était pas ce qu’il avait voulu en sauvant ce bourg. De voir ces pauvres loupiots et loupiotes s’écrouler sous le poids du travail forcé et de la malnutrition tandis que les grands festoyaient, mis son cœur d’homme charitable à mal, tout cela était intolérable.
Il alla de nouveau devant le Stiftsherrenhaus, sortit son instrument et en joua. La ville, tout comme la première fois, se figea dans son mouvement et alors les enfants au son du hautbois accoururent et suivirent l’artiste très loin de la ville. A leur réveil, de retour dans leur mouvement quotidien, les Hamelinois pleurèrent leurs enfants et expièrent leur comportement en reconstruisant la cité jusqu’à leur mort. C’est aujourd’hui une ville magnifique et prospère.
Quant aux enfants, ils ne furent ni noyés ni tués. Le musicien, un homme bon, bienveillant et généreux, les conduisit de village en ville, de bourg en commune : Hamelin, Hanovre, Nienburg via le lac de Steinhude, Marklohe, Wietzen, Asendor, Vilsen, Martfeld, Schwarne, Emtinghausen, Thedinghausen, Achim … en direction de Brême.
Dans chaque village, il demandait la charité contre quelques chansons. De partout, sa musique enchantée et on leur offrait de quoi dormir dans une étable, de quoi manger dans un verger… Les enfants trouvèrent même des foyers accueillant et chaleureux et y restèrent, retrouvant ainsi amour et protection. Le joueur de flûte voyait sa troupe diminuer de jour en jour et bien que chaque départ lui laissait une entaille au cœur, il savait que ces protégés pourraient ainsi avoir une meilleure vie.
Arrivé au environ de Brême, il ne resta que trois adolescents qui lui étaient très reconnaissants de les avoir soustrait à une vie de labeur et d’indigence.
Ensemble, ils s’installèrent dans une vieille chaumière près du lac de Kuhgrabensee. Personne ne vint les expulser car l’endroit autrefois pullulait de brigands venant se partager leur butin. Beaucoup craignaient que ces malandrins ne reviennent alors la présence de nouveaux venus ne pouvait qu’aider au repeuplement des lieux et éloigner les malotrus qui souhaitaient rester discrets pour se diviser leur rapine.
Ils vécurent donc des jours heureux en confectionnant des bonbons (les fameux bonbons de Brême qui ressemblent aux berlingots de Carpentras par leur couleur mais pas par leur forme !). Ils les vendaient au marché de Brême en chantant de douces et chaleureuses mélodies qui attiraient de nombreux gourmands. Les jeunes filles venaient écouter les romances et la famille recomposée s’agrandit perpétrant ainsi les traditions musicales et développant la confiserie. Ils ouvrirent aussi des orphelinats et aidèrent les plus démunis dans toute la région.
Dans toute l’Allemagne, on les surnommait les « Musiciens de Brême », cela vous dit sans doute quelque chose, non ? Les frères Grimm, encore eux, ont animalisé à merveille cette histoire là aussi. Mais en vrai nul âne, chien, chat ou coq, juste un joueur de flûte et trois jeunes gens qui lui sont resté attaché, une histoire d’amitié, d’entraide, d’altruisme, de bienveillance, de partage… comme je vous l’avais promis !
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